Pour entrer dans le XVIIe siècle, prenons la clef du Salon. Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet née à Rome, mariée à 12 ans, possédant plusieurs langues, ne se plait pas à la cour d’Henri IV. D’abord, l’esprit militaire y conserve quelque brutalité. Ensuite, le poids du protocole ne manque pas de peser. Enfin, il est difficile de se mettre en valeur au milieu de la foule des courtisans. Ma foi, tout cela est bien ennuyeux. La jeune femme nostalgique du raffinement de la vie en Italie, a une idée : rassembler autour d’elle ceux qui ne demandent qu’à développer de bonnes manières. Elle crée un cercle restreint où chacun pourra se mettre en valeur et s’amuser, le tout, sans se déplacer. Pour cela, elle ouvre l’un des premiers Salons à Paris.

A force de prôner la délicatesse dans les échanges, les salonnières introduisent le raffinement de la langue et des mœurs. C’est ainsi que s’est développé le mouvement « précieux », déjà florissant en Provence. Richelieu, évêque de Luçon, ne manque pas de passer par là. Cela n’est pas sans conséquence. Il voit sous ses yeux évoluer la langue française. Lui viendra alors en tête l’idée de fonder l’Académie française.

Pendant ce temps, Molière se moque des Précieuses, qualifiées de ridicules. Il défend les filles qui s’opposent à leur père, mais il ne laisse pas aux femmes le plaisir d’aller vers les choses intellectuelles. Ni aux bourgeois d’ailleurs. Les excès de langage que l’on dénonce pour fustiger les salonnières existent surtout chez leurs détracteurs comme lui. De fait, les salonnières, veulent, dans un objectif premier, simplifier la langue. « travestir sa pensée », « avoir de l’esprit », « se brouiller avec quelqu’un… », « un billet doux », autant d’expressions qu’elles ont inventé. Est-ce tant que cela tarabiscoté ?

Les salons se multiplient. Pourquoi? Ils portent aussi le nom de « société ». Les femmes écartées de la vie sociale publique, recréent leur propre société et recrutent en partie, ici, au château de Versailles. Commencés pour se distraire, ils deviennent un lieu de réflexion où se cultive l’exercice de la conversation dans les domaines de l’art, de la littérature, de la morale…

Elles prennent la plume. Mais plutôt pour satisfaire la veine épistolaire, comme Madame de Sévigné, ou pour faire part de leurs observations et conseils sur l’éducation. Se dévoiler en public est chose malséante pour une femme, pense-t-on. Les lettres de Madame de Sévigné circulent de mains en mains, recopiées, admirées. La première, elle fait de l’analyse du quotidien, une œuvre d’art. Madame de Lambert s’attaque courageusement à Molière et écrit sur l’éducation une œuvre qu’elle destinait à sa famille et à ses amis proches. Mais voici qu’une âme bien – ou mal – intentionnée s’empare du manuscrit et le fait publier en Hollande. Madame de Lambert l’apprenant, se sent déshonorée. Elle fait saisir tous les ouvrages et les met au feu. C’est un auto –autodafé.

Les femmes s’interrogent sur leur plume. Voyez Marie Meurdrac, chimiste, au milieu de ses cornues. Derrière un rideau, apparaissent ses livres et son savoir.  Va-t-telle laisser relever le voile, le laisser retomber ? Elle hésite à publier :

« Je m’objectais à moi-même qu’une femme se doit demeurer dans le silence, écouter et apprendre, sans témoigner qu’elle sait ; qu’il est au-dessus d’elle de donner un ouvrage au public puisque les hommes méprisent et blâment toujours les productions qui partent de l’esprit d’une femme… »

Va-t-elle en rester là ?

Non : « Je me flattais d’un autre côté que les Esprits n’ont point de sexe ; et que si ceux des femmes étaient cultivés comme ceux des hommes, et que l’on employât autant de temps et de dépenses à les instruire, ils pourraient les égaler. »

Les plus audacieuses se lancent. Madame de Lafayette a publié deux fois sous le nom d’un homme. Puis La princesse de Clèves a paru, un succès immense, une référence qui a traversé les temps pour sa finesse dans l’analyse psychologique des sentiments. Tout au long de sa vie, elle a nié, en montrant qu’elle parlait faux, être l’autrice de cet œuvre magistrale.

Pourtant, jusqu’à la fin du XVIe siècle, une femme que sa condition sociale privilégie peut exercer du pouvoir et s’adonner à des recherches intellectuelles. Alors, pourquoi au XVIIe siècle, faut-il de telles ruses pour être publiée ?                                                                                                                                    Tout a changé avec l’avènement de l’absolutisme royal.

A un état fort, correspond un pouvoir fort dans la famille. Contrairement aux siècles précédents, la domination masculine se structure à travers ses institutions. Il faut des règles pour conserver la pureté de la langue, une académie pour soutenir le rayonnement des Sciences exactes et des Lettres, a donc pensé le jeune abbé de Luçon dans ses premiers contacts avec les salons de Paris. Devenu le cardinal de Richelieu, il veut un dictionnaire élaboré par des gens de lettres, des « Immortels ». Première décision pour l’Académie, barrer des mots qui n’ont pas lieu de figurer au dictionnaire : des métiers dits au féminin, car au Moyen-Age, les femmes travaillent dans tous les domaines ; charpentière, peintresse, officière, mareschale, dompteresse, disparaissent. Certains autres noms de métier ont mauvaise presse : poétesse, philosophesse, jugesse passent aux oubliettes. Philosophesse ne plaît pas du tout. La terminaison sans grâce du mot en est la raison. Surtout, cela : il faut cacher un mot, mot horrible qui déchire les oreilles et qu’un académicien ne saurait entendre, le mot autrice.

Aurore Evain, dramaturge contemporaine, a étudié le sort du mot et son évolution dans la langue[i]. Les grammairiens avec à leur tête Vaugelas et Guez de Balzac, conservent des mots terminés par le suffixe « trice » ; divinatrice, instigatrice. Mais autrice, pas question. Savent-ils, ces académiciens que le mot était utilisé à l’Antiquité ? Auctrix féminin de auctor, pour désigner origine de. Des femmes protestent de la suppression du mot: la première de toutes, Marie de Gournay. Elle qui vit, un pied dans le XVIe, l’autre dans le XVIIe peut mesurer le changement des mentalités entre les deux époques[ii]. Justement, Marie est traductrice. Impossible de lui contester sa compétence, tous louent son travail sur les textes de Virgile, Tacite, Ovide… Or, donc, pour les grammairiens, elle a le droit de se dire traductrice, mais pas autrice. Les avis s’affrontent par publications interposées. Les précis de grammaire donnent le mot de la fin : le masculin l’emporte sur le féminin, « puisque, ose-ton dire, le masculin est réservé aux tâches nobles ». Le terme d’actrice en face d’acteur ne gêne pourtant pas les académiciens. Pourquoi ? De fait, on est acteur ou actrice avec son corps, pas avec sa plume. Tout s’explique : écrire est une tâche noble. Traduire l’est moins, au service du texte d’un homme.

Pourtant, tandis qu’ils refusent d’accepter des femmes parmi ses membres, les académiciens du XVIIe et du XVIIIe siècle doivent leur fauteuil à des femmes, les salonnières. Elles font et défont les réputations, soutiennent ou écartent les candidats. Il faut par exemple passer par le salon de la marquise de Lambert si l’on caresse l’espoir de franchir un jour les portes de la grande maison. Montesquieu a longuement fait la cour à madame de Lambert. C’est la personne à qui il veut le plus plaire, dit-il, moyennant quoi, il a pu pénétrer dans la vénérable maison.

Enfin, les salons du XVIIIe siècle s’emparent d’une autre clef, celle de la politique.

Quand gronde la révolution, de très nombreuses femmes du peuple vont prendre la plume ou la confient à ceux qui savent écrire : en 1789 leurs revendications sont transcrites dans le cahier des doléances. Conscientes que leur parole sera noyée dans l’ensemble, elles publient dans des revues spécialisées – pas moins de 20 revues paraissent en même temps – pour reprendre leurs réclamations : le divorce, l’égalité dans l’éducation, l’entrée dans la vie publique, la participation à l’armée. Des femmes de l’aristocratie publient et éclaboussent le papier d’accusations et de colère. Madame Roland par exemple, épouse du ministre des finances, s’en prend ouvertement à son ennemi Danton. Elle sera guillotinée.

Phénomène tout à fait nouveau, les femmes vont prendre la parole. « La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune » proclame Olympe de Gouges. Elle sera guillotinée en 1793. Des clubs féminins se multiplient avec les publications. Elles s’exercent à la harangue et à l’argumentation, notamment au club des Citoyennes Républicaines Révolutionnaires, fondé en 1793.

Les révolutionnaires ne supportent pas l’idée que les femmes aient longtemps part à la parole publique. Les femmes du peuple se sont engagées politiquement. Elles participent activement à la Révolution, présentes dans les tribunes publiques des assemblées de section ou de la Convention. Seulement, elles n’ont pas les moyens d’arrêter de travailler alors elles transportent leur ouvrage là où elles vont. Un début de télétravail, finalement. On les nomme pour s’en moquer, les tricoteuses avec la pensée qu’elles devraient rester au foyer pour s’adonner aux travaux domestiques. C’est une sans-culotterie féminine. Vigilantes à la construction de la République, ces jacobines radicales entretiennent l’agitation populaire et s’activent pour renverser les Girondins, plus modérés. Elles accompagnent au pied de l’échafaud les exécutions des ennemis de la Révolution.

Après avoir combattu au coude à coude avec les hommes, les femmes sont les grandes perdantes de la Révolution. L’espoir d’accéder à l’égalité avec les hommes déçu, elles sont renvoyées à leur foyer et n’obtiennent le droit de vote qu’en 1944, on le sait. Elles ont acquis cependant le droit au divorce par consentement mutuel ou demande de l’un des deux époux en 1792. Mais cette loi est abrogée en 1816 sous la Restauration, puis rétablie en 1884. Avec l’abolition du droit d’ainesse, les femmes peuvent hériter à part égale avec les hommes (1791) et elles sont admises comme témoin à l’état civil (1792).

Le code Napoléon ensuite entérine une situation de mineure à vie pour les filles, épouses, sœurs, moniales sous tutelle masculine. Les veuves gardent une plus grande marge de liberté, comme si elles avaient incorporé symboliquement une part du défunt.

Le véritable héritage de la Révolution n’est-il pas que les femmes aient éprouvé la force d’être ensemble et de pouvoir définir ce qu’elles veulent ? Olympe de Gouges a tenté une action symbolique. En dédiant la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne à la reine Marie-Antoinette, elle signifie la solidarité des femmes en tant que caste à part. Elle dépasse les clivages de classe sociale. Elle politise le fait d’être femme.

Pour détruire le mythe de l’infériorité féminine, il faut réinscrire les femmes dans l’Histoire. Pour étouffer les stéréotypes, il faut peupler la mémoire collective des grandes figures du passé, de leur talent, leur courage, leur grandeur d’âme. Pour établir l’égalité entre les hommes et les femmes, il faut accepter de s’enrichir mutuellement de notre Histoire. Justement, l’héritage des femmes du XVIIe et du XVIIIe siècle, ne peut que nous grandir dans notre détermination à vouloir l’égalité.